CAMPUS
ALGORITHMES
«Notre meilleur conseil pour vos cadeaux de Noël, c’est 37%»
Les auteurs de Penser en algorithmes, Brian Christian et Tom Griffiths, étaient à l’EPFL en octobre dernier. Nous les avons rencontrés.

Les auteurs de Penser en algorithmes, Brian Christian et Tom Griffiths.
© Alain Herzog
Saviez-vous que pour beaucoup de situations de la vie courante, la meilleure réponse est «37%»? Ou qu’en empilant des documents sur le coin de votre bureau, en fait vous appliquez le principe le plus efficace qui régit la «mémoire cache» des ordinateurs? Des exemples surprenants de ce type foisonnent dans Penser en algorithmes, livre de Brian Christian et Tom Griffiths publié aux PPUR et préfacé par Martin Vetterli. Rencontre des auteurs en marge d’une «Campus lecture» donnée en octobre à l’EPFL.
Vous dites que «penser en algorithmes» apporte des aides à la décision dans beaucoup de situations courantes. Est-ce parce que ces algorithmes ont été développés sur la base de la conscience humaine, ou au contraire parce que notre monde est organisé selon des principes computationnels?
Brian Christian: Il faut tout d’abord savoir ce qu’on entend par conscience, ou intelligence. Ces définitions évoluent avec le temps. Pour Aristote, l’intelligence se définissait par une capacité à l’abstraction, comme dans la pratique de la géométrie. Aujourd’hui, l’humain est battu à plate couture par les machines pour l’algèbre et la géométrie. En revanche, les ordinateurs sont toujours – et pour encore longtemps – incapables d’analyser une photo pour y déceler toutes les références culturelles subtiles, l’humour, tout ce qui est hors champ, mais qu’un spectateur humain ressent comme faisant partie de la scène. Pour revenir à la question : beaucoup des réalités qui nous entourent répondent à des règles, statistiques notamment, qui sont hors de notre maîtrise. Mieux les comprendre et les appliquer peut, dans certains cas, nous aider à optimiser nos actions.
Tom Griffiths: Il est important de souligner que cette approche ne concerne que des situations assez spécifiques, dont le déroulement peut être découpé en séquences, répondant chacune à un algorithme. Mais beaucoup de comportements humains reposent sur des problèmes et des schémas complexes pour lesquels les sciences computationnelles n’apportent pas de réponses.
Parmi les situations qui peuvent bénéficier de l’approche algorithmique, beaucoup retombent sur la «règle des 37%». De quoi s’agit-il?
B.C.: C’est un principe d’optimisation connu sous le nom de «l’arrêt optimal». L’exemple classique est que si vous cherchez un appartement dans un marché saturé où la décision doit être prise au moment où vous le visitez, il faut consacrer 37% du temps prévu pour trouver votre logement à en visiter sans signer de bail, puis, passé cette limite, prendre le premier qui soit mieux que tous les précédents. Si vous vous décidez avant, vous augmentez le risque de rater le meilleur; si vous tardez, vous perdrez du temps et augmentez le risque d’avoir laissé partir celui que vous auriez dû choisir.
En est-il de même pour la course aux cadeaux de Noël?
B.C.: Oui, «l’arrêt optimal» peut aussi s’appliquer. Un autre algorithme, celui du compromis entre «explorer» (soit chercher de nouvelles choses originales) et «exploiter» (soit choisir des cadeaux dont le succès est assuré), peut également s’avérer utile.
Ces règles s’appliquent-elles aussi au monde du travail?
T.G.: Oui, par exemple pour un recrutement, la règle des 37% est également valable – bien qu’elle doive être modulée par exemple s’il est possible de «revenir en arrière» et de rappeler un candidat d’abord écarté. Un exemple plus parlant encore est celui du classement de l’information. Que faire des paperasses que vous recevez au bureau? La réponse est surprenante: xy<la constitution d’une pile au coin du bureau est la plus efficace! Elle répond à la règle du «moins récemment utilisé», qui régit l’organisation de la mémoire cache des ordinateurs: en remettant un document sur le dessus de la pile après l’avoir utilisé, le tas s’organisera «de lui-même» en vous donnant l’accès le plus rapide aux informations dont vous avez le plus souvent besoin.
B.C.: Nous ne faisons qu’évoquer cet exemple dans notre livre, mais cela nous a lancés sur la piste du prochain ouvrage que nous ferons ensemble: Algorithms at work, qui sortira l’année prochaine. Beaucoup de situations de la vie professionnelle peuvent bénéficier d’une approche computationnelle spécifique.
Explorerez-vous aussi d’autres domaines?
B.C.: En parallèle, je prépare un livre sur les questions éthiques que soulève le développement du machine learning. Aujourd’hui, la justice pénale américaine s’appuie de plus en plus sur des machines pour prononcer des jugements. Cela ouvre des questions vertigineuses. The alignment problem sortira l’automne prochain.
Emmanuel Barraud, Mediacom

> LA VIDÉO DE LA CONFÉRENCE PEUT ÊTRE VISIONNÉE SUR: go.epfl.ch/AlgorithmsConference2019